Du contrat social : Le pacte social - 2) Les clauses du contrat

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Extrait :

Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l’acte, que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu’elles n’aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu’à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça.

Ces clauses bien entendues se réduisent toutes à une seule, savoir l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté : car premièrement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.

De plus, l’aliénation se faisant sans réserve, l’union est aussi parfaite qu’elle peut l’être et nul associé n’a plus rien à réclamer : car s’il restait quelques droits aux particuliers, comme il n’y aurait aucun supérieur commun qui put prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l’être en tous, l’état de nature subsisterait, et l’association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine.

Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a.

Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat Social, Livre I, (1762), Classiques Garnier, Paris, 1989.


Questions : 

1. "Les clauses de ce contrat sont tellement déterminées par la nature de l’acte, que la moindre modification les rendrait vaines et de nul effet ; en sorte que, bien qu’elles n’aient peut-être jamais été formellement énoncées, elles sont partout les mêmes, partout tacitement admises et reconnues ; jusqu’à ce que, le pacte social étant violé, chacun rentre alors dans ses premiers droits et reprenne sa liberté naturelle, en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y renonça."

a) Faites une recherche de vocabulaire sur "clause" et "contrat", et montrez en quoi les conditions, les "clauses" d'un "acte" de type juridique, le contrat, sont énoncées comme un problème de mathématiques ou de physique, qui, une fois qu'il est bien posé dans sa formulation, détermine nécessairement quelle est la seule solution possible.

b) Comment cet énoncé de l'acte du contrat et de ses clauses, ses conditions, à la manière d'un problème scientifique, permettent-ils de passer d'un acte naturel, qui peut rester tacite, ne s'accompagner d'aucune parole, à un acte conventionnel, non naturel, qui produit un accord commun des volontés ?

c) Pourquoi apparaît-il possible que le "pacte social" soit "violé", avec un retour à "la liberté naturelle" et à ses "premiers droits", en renonçant aux droits de la "liberté conventionnelle", mais que risquerait-on alors de perdre, plutôt que de gagner, avec un tel retour en arrière ?

2. Quelles sont les clauses du contrat social, fondateur d'une association sous des lois ?

a) L'idée d'une "aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté" peut paraître effrayante : faites une recherche pour préciser :

  • la notion d'"aliénation" juridique par rapport à celle d'aliénation mentale ;
  • pourquoi ce que l'on cède dans l'aliénation juridique relève du droit régissant les relations extérieures entre les individus, les actes et les biens, où il peut être question du "tien" et du "mien", et non pas de ce que l'on est profondément, comme dans l'aliénation mentale.

b) "chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et la condition étant égale pour tous, nul n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres." : faites une brève recherche sur la notion de contrat, et dites :

  • pourquoi cette notion implique l'égalité des associés qui passent mutuellement le contrat ;
  • pourquoi la rupture de cette égalité peut impliquer la rupture du contrat et donc l'abandon des avantages qu'il procure.

c) Comment peut-il avoir à la fois totalité de l'aliénation "chacun se donnant tout entier", et en même temps un certain degré du coût ou du poids de cette aliénation "nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres", ce qui suppose qu'on peut la rendre plus ou moins onéreuse ?

  • Pensez d'un côté à l'engagement militaire ou civique, à la nécessité où l'État peut être de demander aux citoyens le sacrifice de leur vie pour la communauté ;
  • Pensez d'un autre côté à toute activité que l'on peut faire seul, sans impliquer en quoi que ce soit les autres, et qui donc ne peut leur nuire en aucune façon - comme réfléchir, rêver, travailler pour soi dans son temps libre, se promener ou chanter à part des autres dans la nature (quelques activités préférées de Rousseau) - et si cela relève ou non de "droits" qu'il s'agirait de céder à la communauté ;
  • Pensez au rationnement des ressources les plus nécessaires en temps de guerre : le poids de ce qui est aliéné par chacun et que chacun peut demander de tous les autres, en vertu du contrat, ne peut-il varier en fonction des besoins de la communauté ?

3. "De plus, l’aliénation se faisant sans réserve, l’union est aussi parfaite qu’elle peut l’être et nul associé n’a plus rien à réclamer : car s’il restait quelques droits aux particuliers, comme il n’y aurait aucun supérieur commun qui put prononcer entre eux et le public, chacun étant en quelque point son propre juge prétendrait bientôt l’être en tous, l’état de nature subsisterait, et l’association deviendrait nécessairement tyrannique ou vaine."

Pensez à des individus riches et puissants qui bénéficieraient de la protection de la loi commune par la participation au contrat social, et qui conserveraient, à part de ce contrat d'association, en plus des droits que celui-ci leur offre, des droits propres à eux seuls : par exemple le droit à ne pas contribuer par les impôts à la charge de l'État et de cette loi qui les protège (l'aristocratie ne payait pas d'impôts dans la France d'Ancien Régime, on peut penser à l'exil fiscal aujourd'hui).

L'État pourrait-il réclamer à ces particuliers qu'ils leur cèdent leurs droits particuliers, si ces droits n'ont pas été inclus dans le contrat social, et ce conflit pourrait-il être résolu par le droit ?

4. "Enfin chacun se donnant à tous ne se donne à personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi".

En quoi s'agit-il bien, dans l'aliénation des associés et de leurs droits dans le contrat social, de l'égalité et de la réciprocité des droits et des obligations que la loi instaure entre les individus, et non pas de la quantité des biens possédés par chacun des membres de l'association, qui peut être inégale d'un individu à l'autre ?

5. "On gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd, et plus de force pour conserver ce qu’on a" : pourquoi la propriété des biens et des droits de la personne ainsi que leur garantie est-elle véritablement instaurée par le contrat social, et n'existait pas vraiment avant lui ?

6. N'y a-t-il pas une fragilisation possible du contrat social dans le fait que, d'un côté les droits et obligations sont égaux et mutuels, mais que de l'autre les biens possédés par chacun des membres peuvent être cependant inégaux, alors que les obligations du contrat d'association peuvent être rendues plus ou moins coûteuses à ses membres (par exemple en temps de guerre) : qui a plus à craindre de cette clause du contrat social, les plus riches ou les moins riches ?

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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